
La société du divertissement gangrène le mode moderne et instaure la perte de temps comme règle première. Nous abandonnons volontairement des pans entiers de notre vie à des « occupations » inutiles (jeux, émissions débiles…). Pour oublier notre déprime globale face à la perte de sens de nos existences. Et pourtant, c’est le pseudo-remède qui est la cause du mal. On arrête quand ?
Je le confesse, il y a quelques semaines, dans un moment de petite forme, j’ai installé le jeu Candy Crush sur ma tablette. Et, comme c’est intelligemment conçu pour être férocement addictif ce machin, je lui ai, depuis, lâché quelques heures de dépendance stupide. Honte à moi !
Jusqu’à ce matin.
Comme souvent ces jours derniers, je lance le jeu avec en arrière-plan l’idée que je ne vaux guère mieux que les personnes qui viennent me voir pour que je les aide avec leurs addictions (cigarettes, drogues diverses, alcool, sexe, casino, etc.). Et les mêmes raisonnements foireux : « Nan mais là c’est juste quelques minutes. Après j’arrête et je bosse ». Et soudain apparait un message corporate des créateurs du jeu, sans doute très fiers de leur performance :
« Saviez-vous que tous les mois 14 milliards de parties de Candy Crush sont jouées dans le Monde ? »
Le choc ! 14 milliards de parties !
A raison de 8,5 minutes en moyenne par partie, cela fait 200 millions d’heures consacrées chaque mois par des humains à ce jeu qui n’apporte rien, ne développe aucune compétence particulière puisque principalement basé sur le hasard donc inutile. 200 millions d’heures !
Et ce n’est qu’un exemple parmi les milliers ou dizaines de milliers de jeux pour smartphones, tablettes, ordinateurs ou consoles. Je ne parle même pas des milliards d’heures d’oisiveté abêtissantes évaporées devant des émissions de divertissement tout aussi inutiles. Attention, je ne mets pas dans le lot les documentaires et films qui relèvent de la culture mais j’y inclue les chaines d’information en continu où les envoyés spéciaux rivalisent de talent pour dire dans la plus belle logorrhée que, « non, rien de neuf depuis la dernière fois« . Il parait que les Français passent environ 3,5 heures par jour devant la télé. Je vous laisse extrapoler au reste de la population mondiale – enfin, celle qui a les moyens d’avoir une télé, un smartphone, une tablette… – et nous aurons une idée approximative de l’incroyable gabegie de conscience.
Des milliards et des milliards d’heures gaspillées, brûlées, anéanties. Autant d’heures que n’auront pas les amis, les conjoints, les enfants, les parents, les bouquins, l’art, le travail, les activités diverses, les associations, les engagements multiples, les promenades au contact de la nature, le jardinage, l’apprentissage, la connaissance, l’échange, la méditation, le développement personnel. Autant d’heures qui échappent à notre être le plus profond. Autant d’heures, de jours, de semaines et de mois de vie que nous abandonnons au néant.
Alors pourquoi ? Pourquoi cesser de vivre avant même d’être mort ? Le problème, c’est que nous avons tous des flopées d’excellentes mauvaises raisons :
- Pour me détendre
- Pour ne pas m’ennuyer
- Pour ne pas penser aux soucis
- Pour ne pas regarder mes peurs
- Pour ne pas angoisser face à ce monde fou
- Pour éviter de paniquer à l’idée que je vais mourir…
Mourir un peu beaucoup chaque jour pour se croire immortel. Quelle blague ! Mais c’est notre société toute entière qui souffre de troubles mentaux sévères. Une névrose collective ou une psychose généralisée ? Peu importe l’étiquette. Notre mode de vie collectif et individuel nous échappe et part à toute allure dans le mur. Le Titanic est en train de couler et nous applaudissons l’orchestre.
Sauf qu’il nous est très facile à chacun de nous de descendre du train fou. À tout moment. Dès que nous le voulons. Dès que nous décidons joyeusement de vivre notre vie. Aussi simple et rapide qu’un claquement de doigts.
Cela s’appelle une prise de conscience.
Ce matin j’ai désinstallé Candy Crush et deux ou trois autres jeux. J’ai mis Facebook en quarantaine et j’ai planqué la télécommande de la télé que je ne regardais de toute façon quasiment plus. Après un instant de satisfaction rageuse, J’ai ressenti un drôle de vide au creux de l’estomac que j’ai immédiatement reconnu : « Qu’est-ce que je vais faire ? Glups… ».
Puis j’ai vu ma pile de livres à lire, le rayon de soleil sur le pourpier fleuri au pied de ma fenêtre et je suis allé marcher avec un vague sourire aux lèvres et à l’âme.
